Le statut de l'erreur dans la formation du joueur de tennis

Mercredi 2 Janvier 2019
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@francetvinfo.fr


L'idée du thème de cet article a germé suite au visionnage d'une vidéo de l'intervention de Jean-Luc Cotard alors chargé du pôle France de Boulouris, lors d'un colloque des enseignants professionnels organisé par la DTN et en particulier du passage suivant :



Cette intervention pouvant paraître anodine et censée faire l'éloge d'une certaine forme d'exigence de l'entraîneur envers ses joueurs, mais également de l'exigence que le joueur doit avoir envers lui même, démontre plutôt un profond soucis concernant la place de l'erreur (qualifiée de "faute" dans le langage tennistique courant ou encore d"échec" dans la vidéo) dans la formation du joueur de tennis. Le couperet d'ailleurs emprunté à Henri Cochet : "Tu manques parce que tu ne veux pas réussir" tombe d'ailleurs comme une sentence irrévocable que l'on retrouve dans la bouche de nombreux joueurs ou enseignants à travers des expressions courantes sur les terrains de tennis :  "tu n'as pas le droit de faire la faute", "met la balle dans le terrain", 'ne prend pas trop de risque"...

Un peu plus loin dans la même vidéo, nous avons un autre exemple sur l'erreur cette fois-ci qu'il ne faut pas laisser visible pour les autres ou même pour soi-même, comme si cette erreur était coupable ou source de honte...



Malheureusement, cette intolérance à toute sorte d'erreur de la part des enfants est largement répandue en France et en particulier dans le système scolaire où les mauvaises notes sont assimilées à un défaut d'apprentissage ou un manque de concentration et peuvent être une source de stress importante chez l'enfant. Plus grave encore, elle peut ancrer chez lui une peur de l'échec que l'on peut retrouver par la suite dans la suite des études, le monde professionnel ou encore lors de la pratique sportive.

Bien évidemment, il n'est pas question de remettre en cause la compétence de l'intervenant que nous pouvons voir sur la vidéo, mais cette manière d'intervenir doit nous faire nous intéresser dans cet article à la notion d'erreur dans la formation pour essayer de montrer son importance dans le processus d'apprentissage et ne pas seulement la limiter à une sorte de "tâche" à effacer.
 

I. Le cerveau détecte naturellement les erreurs

La première explication de la très grande importance attribuée à l'erreur dans notre société s'explique par le fonctionnement du cerveau lui même. Petit test en observant la suite de nombres suivante :

000000001000000000

Il y a fort à parier que la seule information qui va vous sauter aux yeux et que vous allez retenir est le fait qu'il y ait un seul 1 au milieu d'une ligne de 0. Ce chiffre va apparaître pour votre cerveau comme une erreur qu'il va mettre en avant en mettant de coté toute autre information. Avez-vous remarqué qu'il y a 9 zéros de chaque coté du 1 par exemple ? Je parierais que non car le cerveau se focalise essentiellement sur "l'anomalie"

Le soucis de ce mode de fonctionnement est que l'erreur est très souvent mise en avant de manière exagérée au détriment de ce qui est correct ou bien réalisé. Autre exemple :

1+1 = 2
1+2 = 4
1+3 = 4
1+4 = 5
1+5 = 6
1+6 = 7
1+7 = 8
1+8 = 9
1+9 = 10


Dans cette suite d'opérations, ce qui va être retenu pour la majorité des personnes est l'erreur de résultat sur la deuxième opération 1+2 = 4 alors que les neufs autres opérations sont exactes. Ce mode de pensée malheureusement courant dans notre culture se retrouve dans la première vidéo avec une mise en avant de la faute réalisée par la joueuse alors qu'auparavant, elles avaient joué neuf volées sans faire d'erreur... Pourtant, le choix est fait de pointer du doigt la 10ème volée jouée dans le filet, et donc de "valoriser" l'échec de l'enfant au détriment de sa réussite sur les autres coups.
 

II. Les inconvénients de cette culture

"La plus grande erreur qu’un homme peut faire est d’être trop effrayé de commettre une erreur."
Elbert Hubbard


Comme nous l'avons dit, le soucis de ce mode de fonctionnement est que la sur-valorisation de l'erreur, en particulier chez l'enfant, peut laisser des traumatismes profonds pouvant être observés parfois même une fois adulte :

 - stress devant une situation ou un problème à résoudre
 - perte de motivation
 - sentiment d'infériorité ou manque d'estime de soi

En France, que ce soit dans le système éducatif, dans le cercle familial ou encore dans le monde sportif, nombreux sont les exemples malheureusement pouvant conduire à ce comportement : appréciations sur un bulletin scolaire mettant pointant la faiblesse des notes dans certaines matières au lieu de mettre en avant celles où les résultats sont bons ou encore sur-valorisation d'une défaite ou d'un échec sans chercher à retirer des aspects positifs. L'erreur est sanctionnée, parfois risible ou encore inacceptable. La personne qui commet une erreur devient un fautif.

Cette façon de penser se retrouve dans le modèle transmissif de l'apprentissage : l'erreur est une anomalie de l'apprentissage, une preuve que la "leçon" n'a pas été bien apprise ou que l'élève n'était pas assez concentré au moment de la restituer. C'est une vision binaire : on réussit ou on échoue, et en cas d'échec, c'est l'élève qui est fautif et l'erreur est regrettable et regrettée. Pourtant, l'erreur doit faire partie intégrante du processus d'apprentissage et ne pas la considérer comme tel peut être une entrave sévère au développement futur de l'enfant  : "Si un enfant est puni pour avoir fait une erreur, ou bien est ridiculisé ou humilié, le processus naturel d'apprentissage est saboté. Un enfant ne peut pas avoir et garder l'envie d'apprendre si, lorsqu'il fait une erreur, il reçoit en retour un rejet ou un jugement moral" (Bruno Hourst, J'aide mon enfant à développer son estime de soi, édition Eyrolles, 2016)



Les conséquences de cette culture sont observables sur les terrains de tennis à travers l'attitude de certains joueurs :

 - Attribution interne de l'échec : peur de faire la faute ou même colère démesurée lorsqu'elle est commise, inhibition lors des situations de compétition, sentiment de culpabilité ou encore dévalorisation en cas de défaite. Le joueur est affecté dans son ego en cas d'erreur et c'est la porte ouverte au "petit bras", à la crispation pouvant apparaître dans une situation tendue

 - Attribution externe de l'échec : manque de chance, condition météo, adversaire, terrain... ils deviennent victimes de ces éléments, adoptent une attitude défaitiste ou alors de contournement de l'erreur pour ne pas avoir à l'affronter

En terme d'enseignement, une préférence est souvent donnée chez les jeunes à l'efficacité, le choix d'un coup sûr, tactiquement "juste", conduisant quelque part à une uniformisation des styles de jeu cherchant à minimiser les erreurs. Le soucis est qu'une fois ce mode de pensée ancrée dans le subconscient, il est très difficile de s'en défaire.

III. Donner sa place à l'erreur dans l'apprentissage

"Les erreurs sont neutres ; nous pouvons en faire ce que nous voulons.
Selon notre manière de les percevoir, elles nous accableront ou nous guideront vers le succès."
Dalaï Lama

De nombreux apprentissages se font par le jeu de l'essai/erreur. L'exemple du vélo illustre parfaitement ce type d'apprentissage où l'enfant va connaître la finalité mais devra découvrir la procédure de l'équilibre en roulant par lui même : il va tâtonner en multipliant les essais, tomber parfois puis à force de réfléchir à ce qu'il fait, il va progresser et être capable de faire quelques mètres en roulant puis viendra le moment où il saura faire du vélo.

Dans le cadre de l'enseignement du tennis, il est également possible de se servir de l'erreur comme un levier puissant d'apprentissage, à condition toutefois de la dédramatiser car l'erreur en elle même n'est pas grave si le joueur et l'enseignant sont capables de l'analyser et de l'utiliser pour déterminer des objectifs de travail ayant du sens.

Ainsi, si l'on reprend les deux vidéos présentées en introduction, il aurait été intéressant de tenter d'analyser la situation pour expliquer les causes des erreurs commises et non pas pointer seulement la conséquence. D'ailleurs, il est intéressant de voir la jeune fille (qui a 10 ans) tenter d'analyser son erreur ("je suis trop près de la balle", sous entendu je n'ai pas bougé assez vite pour me dégager). Elle était dans la volonté d'analyser, de positiver son "échec" et dans ce cas précis on l'a malheureusement contredite en lui expliquant qu'elle avait fait la faute "parce qu'elle ne veut pas réussir"... Non, on ne fait pas forcément une erreur parce qu'on ne veut pas réussir, il y a de multiples raisons qui peuvent l'expliquer et dans le cas précis, envisager le stress que peut ressentir une jeune fille de 10 ans jouant devant plus de 200 personnes...

Alain Mourey, (in "le point sur l'apprentissage du tennis", édition l'Harmattan, 2010) résume l'importance de l'action de l'enseignant dans le processus : "L'aide de l'enseignant est tout aussi importante au plan psychologique pour les enfants en soulignant leurs succès, en étant positif quand ils sont en échec, en leur transmettant de la confiance"
 

IV. D'une pédagogie de l'échec à une pédagogie de la réussite

Créer une dynamique de réussite pour mettre fin à l'hégémonie de l'échec dans la formation de nos enfants (ou de nos joueurs) est un enjeu essentiel afin de développer à la fois leur plaisir de jeu, mais également de favoriser l'apprentissage. Attention, par pédagogie de la réussite, il n'est évidemment pas question de placer l'enfant dans une situation trop facilitante ou l'erreur serait absente, mais au contraire d'utiliser la puissance de l'erreur pour le faire avancer sur le chemin de la progression, en veillant toutefois à doser correctement le degré de difficulté (cf décalage optimal de Linda Allal).



L'idée est de placer l'enfant dès le plus jeune âge dans une situation l'aidant à analyser ses erreurs pour les dépasser. En faisant cela, on développe l'idée chez le jeune que l'échec n'est pas définitif mais un point de passage obligé vers la progression. Cette vision centré sur la réussite, sur la valorisation positive des erreurs se retrouve dans le parcours de bon nombre de joueurs et joueuses professionnels. Deux exemples :

- Anna Ivanovic : "L'une des phrases qui me reste en tête est celle de l'un de mes meilleurs coachs. Il m'a dit : "Ne permet pas à tes échecs de devenir des défaites". A travers cela, il voulait dire que tu dois apprendre de chaque échec et le tourner en positif au lieu de te tirer vers le bas". (in 50 secrets de champions pour être au top dans votre vie, Mickael Aguilar, Edition DUNOD, 2016)

- Sur Roger Federer : "A dix ans, Roger Federer n’est pas le meilleur de Suisse. Il n’est même pas le meilleur de Bâle. Le meilleur, c’est Dany Schnyder (le frère de Patty), si régulier alors que Roger perd ses nerfs à la première contrariété. Dany bat Roger neuf fois de suite et puis, un jour, Roger bat Dany. Il ne perdra plus jamais contre lui. En août 1993, à Bellinzone, il est pour la première fois champion de Suisse. Il a appris de ses erreurs, compris que le talent seul ne suffirait pas. A partir de là, confronté à une difficulté, il va analyser le problème, chercher une solution, la mettre en pratique et passer à l’étape suivante. Un schéma qu’il reproduira toute sa vie. (in labs.letemps.ch, Comment Roger est devenu Federer)


Dédramatiser l'échec est une condition à la libération du potentiel du joueur en lui permettant à la fois la prise de risque mais également le recul nécessaire pour accepter une erreur éventuelle. C'est à cette condition que le joueur peut se relâcher psychologiquement sur le terrain, lui permettant ainsi de prendre les bonnes décisions et surtout de ne pas craindre une situation difficile que ce soit en match ou dans les choix au niveau de l'entraînement :

- Marc Rosset sur Roger Federer à 16 ans : "D’ordinaire, les petits jeunes balisent un peu à l’idée de jouer avec le numéro un suisse, mais lui était plus que relax. Et le haut niveau, c’est être capable de jouer relâché dans les moments les plus stressants."

Pour pousser à l'extrême cette idée, prenons exemple sur un des points les plus célèbres de ces dernières années entre Federer et Djokovic en demi finale de l'US Open 2011. Pour planter le décors, 2 sets partout, 5/3 - 40/15 pour le joueur suisse qui a donc une balle de match avec un public à fond derrière lui. Voici la réponse du joueur Serbe :



Impossible de jouer un coup comme celui-ci sans être libéré du poids de l'erreur ou de l'échec. D'ailleurs, on arrive même pour certains sportifs à ce que l'échec ne soit même pas envisageable ce qui leur permet de se libérer dans l'action, de laisser parler leur talent. Ce retour de coup droit de Djokovic est venu de nulle part, et il a permis de renverser le match car sur le point suivant, Federer fait la faute en attaque de coup droit, puis finira par perdre 7/5 ce cinquième set...

"D’où vient la créativité dans le sport? Elle vient du fait qu’un athlète n’ait pas peur de commettre des erreurs, du fait qu’il laisse parler son talent et du fait qu’il fasse confiance à ses habiletés sans porter de jugement. En d’autres mots, un athlète performant est celui qui se laisse aller durant ses compétitions et qui n’a pas une peur excessive de perdre ou d’échouer." (https://www.jonathanlelievre.com)

Cette créativité, cette capacité à ne pas avoir peur d'échouer, il faut les cultiver dès le plus jeune âge en libérant les enfants de la peur de l'échec, en veillant à ne brider leurs objectifs au nom de l'humilité. Un point commun entre Roger Federer et Novak Djokovic ? Les deux ont affirmé avant l'âge de 8 ans leur volonté de devenir n°1 mondial alors que pourtant notre culture moralisatrice aurait tendance à reprouver ce genre de comportement et l'assimiler à de la prétention. Il y a fort à parier que leurs entourages respectifs aient plutôt utilisé cette ambition pour les aider à atteindre leur objectifs plutôt que de chercher à les rendre plus raisonnables...

 

V. Conclusion

A l'heure où l'erreur est encore peu tolérée dans notre société, ne pas la stigmatiser mais au contraire l'utiliser pour faire progresser les jeunes (ou les moins jeunes) semble fondamental dans la formation. Ce n'est qu'à cette condition que le joueurs pourront prendre plaisir sur un terrain de tennis et surtout y exploiter l'intégralité de leur potentiel, que ce soit joueur de club ou au plus haut niveau.

En passant d'une pédagogie centrée sur l'échec à une pédagogie valorisant la réussite, c'est la perception de l'échec qui est complètement transformée puisque ce dernier n'est plus une honte mais au contraire une matière à la progression. En développant cette mentalité, on forme également à chercher des solutions et non plus subir une situation ce qui est essentiel dans un sport d'opposition aussi exigeant psychologiquement que le tennis à condition toutefois de garder une juste mesure et ne pas tomber dans l'exagération que l'on peut voir parfois.

Cette capacité à exploiter l'erreur doit se développer le plus tôt possible, et pas seulement sur le terrain : les contextes familial et scolaire ont aussi une très grande influence sur le développement psychologique de l'enfant qui peut rapidement se trouver enfermé dans des croyances limitantes transmises par son entourage. "On ne naît pas champion, on le devient" dit l'adage, mais cela n'est possible qu'à partir du moment où l'erreur est vécu comme source de progression et non comme une anomalie à faire disparaître ou à cacher.
 

Bibliographie :

- Astolfi Jean Pierre, L'erreur, un outil pour enseigner, Edition ESF 2017

- Rossi Jean Pierre, Les mécanismes de l'apprentissage, Modèle et application, Edition De Boeck Solal, 2014

- Aguilar Michaël, 50 secrets de champions pour être au top dans votre vie, Edition Dunod, 2016

- Mourey Alain, Le point sur l'apprentissage du tennis, du plaisir de la découverte à la maîtrise du jeu, Edition l'Harmattan, 2010

- Hourst Bruno, J'aide mon enfant à développer son estime de soi, Edition Eyrolles, 2016
 

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Commentaires :

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  • Bertrand de Votretennis dit :
    27/11/2019 à 12h 22min

    @Didier : Merci de ton message et effectivement cette façon de formater les enfants à ne pas faire de fautes plutôt que de créer du jeu sera forcément un frein dans la future progression de l'enfant au moment où cette conception du tennis ne suffira plus. On en revient également au fait de ne pas vouloir trop tôt des enfants efficaces en match mais plutôt des enfants dont le potentiel explosera une fois arrivé à l'adolescence ou jeune adulte. On ne doit pas être bon tout de suite, l'objectif est d'être bon une fois arrivé chez les adultes... Mais le chemin est long pour en prendre conscience.

  • Didier dit :
    26/11/2019 à 11h 42min

    Il y a un aspect dont tu aurais pu également parler, c'est le jeu basé sur "d'abord ne pas faire d'erreur". On forme des enfants dont l'obsession est de remettre la balle dans le terrain sans faire d'erreur et on casse la notion de "prendre un risque " pour aller chercher les points. Ils gagnent jeune, tant que les autres font plus de fautes que de points gagnants, mais reste à un faible niveau plus tard.

  • Bertrand de votretennis.org dit :
    19/1/2019 à 18h 12min

    Bonjour, A Merci pour le message et tant mieux si les articles peuvent aider à progresser. Il sont fait pour ça d'ailleurs !!

  • Annery dit :
    15/1/2019 à 17h 07min

    Merci de prendre le temps de nous expliquer toutes ces petites choses qui peuvent paraître insignifiantes. Je n’ai jamais prêté attention à ce genre de détails et ton article m’aidera à mieux comprendre les prochains matchs.