Emotions, motivation et apprentissage

Samedi 2 Janvier 2021


@freepiks


Dans un précédant article, nous nous étions penchés sur les différents buts motivationnels du joueur de tennis :  https://www.votretennis.org/article-135165-le-statut-de-erreur-dans-la-for.html
puis sur l'importance de proposer une pédagogie valorisant la réussite afin de favoriser la motivation dans un deuxième analysant le statut de l'erreur dans l'apprentissage du tennis : https://www.votretennis.org/article-135165-le-statut-de-erreur-dans-la-for.html

Si l'on se penche plus en détail sur la notion de motivation de l'action nous retrouvons le plus souvent la distinction motivation intrinsèque ( l’action est conduite uniquement par l’intérêt et le plaisir que l’individu trouve à l’action, sans attente de récompense externe) et motivation extrinsèque (l’action est provoquée par une circonstance extérieure à l’individu (punition, récompense, pression sociale, obtention de l’approbation d’une personne tierce...). Plus rarement, on trouve aussi la notion d'amotivation où l’individu a le sentiment d’être soumis à des facteurs hors de tout contrôle.

Même si connaître ces différentes formes de motivation pour enseigner semble important, cela ne semble pas suffisant pour comprendre en détail le processus de motivation lors de l'apprentissage. Dans son ouvrage "Cessons de démotiver les élèves, 18 clés pour favoriser l'apprentissage", Daniel Favre (professeur de Sciences de l'éducation et neurobiologiste) propose une analyse détaillée du fonctionnement de notre cerveau lorsque nous apprenons, met en lumière 3 grands système de motivation et surtout de leur influence sur la qualité des apprentissages.
 

1/ Emotions et cognition sont inséparables


Définition de cognition : ensemble des structures et activités psychologiques dont la fonction est la connaissance, par opposition aux domaines de l'affectivité. (source : dictionnaire Larousse)

Nous voyons bien dans cette définition l'opposition faite entre l'apprentissage (la prise d'information et l'aspect émotionnel. C'est d'ailleurs culturel dans notre société de vouloir séparer ces deux notions.

Seulement, vouloir ignorer les émotions semble une erreur sur le plan neurobiologique car il semble impossible de séparer anatomiquement certains neurones dont la fonction principale serait la cognition, d'autres dont la fonction principale est d'engendrer les émotions. L'intégration du message visuel par exemple est modulée en permanence par la partie du cerveau associée aux émotions. L'état émotionnel de l'élève interfère donc en permanence dans le traitement des informations.

De plus, le fait de refouler ses émotions est dangereux à la fois pour l'enseignant et pour l'élève :

 - pour l'enseignant car en se coupant de son ressenti, de son "feeling" prend le risque de préparer une séance parfaite sur la papier mais trop ennuyeuse ou non adaptée à l'état émotionnel ponctuel de ses élèves

 - pour les élèves car refouler ou se défier de ses propos revient à se couper d'une partie de soi-même. En faisant cela, prendre du plaisir dans l'apprentissage sera difficile et il sera tenté de basculer vers l'addiction afin de trouver une source d'excitation plus importante.


 

2/ L'importance de la stabilité émotionnelle dans la relation pédagogique...


Si l'émotion fait partie intégrante de l'apprentissage du fait du fonctionnement du cerveau, un trop plein d'émotion peut être un frein, que ce soit du coté de l'enseignant ou du coté de l'élève.

Un enseignant soumis à des troubles de l'humeur, alternant certains jours sourire et plaisanteries et d'autres réprimandes et punitions va placer les élèves dans un état d'insécurité émotionnelle, ce qui va être un facteur générant du stress.

Du coté des élèves, certains facteurs externes (comme le déroulement de leur journée d'école ou encore la situation familiale) peut influencer fortement son état de stress et donc sa capacité de concentration et d'apprentissage. Ainsi, évaluer au début de la séance la capacité de disponibilité émotionnelle du groupe semble primordial afin d'ajuster le contenu de la séance en fonction des possibilités du moment.



 

3/ .... mais également dans l'entourage !!


Parfois, la source d'émotions négatives peut se situer en dehors de la relation pédagogique. Le comportement de l'entourage peut avoir une incidence désastreuse sur l'élève et ses capacité d'apprentissage s'il se sent jugé ou menacé en cas de non réussite concernant tel ou tel exercice ou jeu.

Lors d'un cours en école de tennis, il suffit de regarder le petit regard inquiet d'un enfant à un de ses parents lorsqu'il manque un coup, n'arrive pas à réaliser l'exercice demandé ou encore perd à un jeu. Peur de la réprimande ou du jugement négatif pouvant conduire au final à la perte de motivation de l'enfant et donc à l'absence d'apprentissage ou même à l'arrêt de l'activité.

De la même manière, un parent intervenant en gesticulant pour montrer à son enfant le "bon geste" à réaliser pour réussir à effectuer une tâche demandée va le priver de tout processus de recherche et surtout faire naître dans l'esprit de son enfant qu'il n'est pas capable de trouver lui même la solution court-circuitant de fait le processus d'apprentissage par essais/erreur.

D'où l'importance d'encourager mais sans jugement...


@https://www.marre-des-manipulateurs.com/
 

4/ Apprendre va générer des émotions !!


Se retrouver devant un problème dont nous ne possédons pas la solution est une source de frustration. Et cette frustration augmente à chaque essai manqué et peut déstabiliser l'estime de soi et peut conduire à remettre en question l'image que l'on a de soi-même.

Ensuite va venir le temps de la mise en "danger". Apprendre c'est changer et pour changer il faut se mettre dans une situation de déstabilisation cognitive et affective. C'est dans cette phase que la sécurité émotionnelle est primordiale : créer un climat de sécurité, sans jugement (positif ou négatif), sans compétition ou comparaison avec les autres, permettant à l'élève d'explorer, essayer en toute liberté.

Enfin, lorsque l'apprentissage est réalisé, que l'élève va enfin réussir une tâche, un sentiment de satisfaction et de plaisir va apparaître, et d'autant plus fort que la difficulté ressentie a été importante.

Il est important de savoir que cette émotion de plaisir est en très grande partie due à un effet biologique au niveau du cerveau qui va naturellement libérer de la dopamine. Ainsi, le cerveau n'a pas besoin de récompense extérieure pour éprouver du plaisir, il est parfaitement capable de le faire tout seul !!

Dans notre société, il est d'ailleurs intéressant d'observer que plus un enfant grandit, plus il devient dépendant aux approbations et aux récompenses ce qui fait passer la source de plaisir dans la récompense et non plus dans la réussite. C'est pour cela qu'il est primordial de valoriser l'effort consenti à résoudre un problème et non le résultat.
 

5/ 3 systèmes de motivation et non un seul !!


 > La motivation de sécurisation (SM1) :

Dans ce système de motivation, le sentiment de bien être ou de frustration serait associé a la satisfaction ou non de besoins biologiques et psychologiques essentiels. Il est à l'origine du plaisir que nous avons à :

 - réaliser des tâches maîtrisées

 - retrouver des situations et des lieux connus,

 - recevoir de l'affection ou de la reconnaissance ou simplement être accepté tel que nous sommes

 - évoluer dans un cadre défini par des règles

Pour résumer, le SM1 concerne tout ce qui constitue notre sécurité dans la stabilité et le connu. Il place l'élève en référence externe et va le conduire en priorité à rechercher la reconnaissance sociale ou encore le fait d'avoir réalisé la performance attendue.

Par exemple, je me sens bien car j'ai gagné tel match et obtenu la reconnaissance de mon entourage pour ça. Lors d'une situation d'apprentissage, il y a le plus souvent la volonté de réussite immédiate afin de ne pas connaître l'échec qui pourrait entraîner la désapprobation des autres personnes.


> La motivation d'innovation (SM2) :

Le plaisir a pour origine les conduites par lesquelles un être humain gagne de l'autonomie (physique, intellectuelle ou affective), surmonte les difficultés et fait preuve de création et d'innovation. Les satisfactions qu'il procure ne sont souvent pas immédiates et nécessitent quelquefois un investissement soutenu.

L'élève est nécessairement en référence interne et il n'y a pas d'intermédiaire entre le plaisir (et/ou la frustration) et le sujet.

Dans le domaine de l'apprentissage, et dans la formation d'un joueur de tennis, ce type de motivation est primordiale car va permettre de se focaliser sur les progrès, mais également d'envisager la formation sur le long terme. 




Les systèmes SM1 et SM2 sont donc parfaitement opposés mais aussi complémentaires puisque c'est quand on se sent en sécurité et accepté que l'on peut prendre le risque de l'apprentissage.


> La motivation d'addiction (SM1 parasité) : Addiction et dépendances

Le plaisir serait associé à la recherche et au maintien de la dépendance. Il s'agit de "programmes étrangers", des sortes de conditionnements inconscients en premier lieu devant l'enfance pouvant entraîner la répétition d'actions et l'apparition de croyances limitantes.

Ces programmes étrangers agissent comme des petites voix intérieures, des "injections verbales ou non verbales de type hypnotique qui parasitent comme un virus notre identité”. Ces types d'injonctions prennent souvent la forme du verbe être + jugement : par exemple "je suis nul en revers". Ce type de jugement range quasi définitivement dans une catégorie. En psychologie on appelle ce processus la surdétermination.

Lorsqu'un élève est persuadé d'être nul, il va chercher à fuir les apprentissages ou à les affronter le moins possible car la situation vécue est trop désagréable. S'il est forcé ou menacé, il y aura une action mais avec peu d'entrain et d'énergie qui au final ne peut conduire qu'à des résultats insuffisants et donc confirmer dans la certitude : "je suis nul". Il y a donc dans les actions la recherche du statu quo

De ce fait, la motivation de type SM1 parasité et de type SM2 sont incompatibles puisque Le plaisir vient dans ce cas du fait de se considérer comme exempté d'effort à réaliser pour telle ou telle tâche.
 

6/ La motivation en fonction des différentes étapes de l'apprentissage


> Etape 1 :  "Je ne sais pas et je ne sais pas que je ne sais pas" :

Durant cette phase, l'élève ne s'est pas encore confronté au problème, il est dans le connu et le maîtrisé, en motivation de sécurisation SM1. Chez les enfants, c'est souvent durant cette phase où l'on peut entendre la fameuse phrase : "c'est facile, j'y arrive" lorsque l'on propose une nouvelle tâche à réaliser". Cette réaction, souvent réprimée par l'enseignant car estimée prétentieuse, est en fait une réaction naturelle chez l'enfant et ne doit pas être jugée par l'adulte. Il faut d'ailleurs remarquer que les adultes vont plutôt avoir la réaction inverse, c'est à dire avoir cette protection de dire : "ça je ne sais pas faire", en priorité pour protéger leur estime de soi.

> Etape 2 :  "Je ne sais pas et je sais que je ne sais pas" :

C'est l'étape critique sur le plan émotionnel : l'élève devient conscient du fait qu'il n'arrive pas à réaliser une tâche et qu'il va falloir trouver des solutions afin de la réaliser. De nombreuses questions vont se poser à lui : doute de lui même à réussir, possibilité ou non de faire des erreurs, estime de soi et image de soi envers les autres. L'élève rentre dans un registre émotionnel désagréable, entre frustration et vulnérabilité.

Durant cette étape, les feedback extérieurs sont importants afin de guider l'élève et de lui fournir des repères. Attention toutefois, guider ne veut pas dire donner la solution : "la solution tue le problème" selon Guy Brusseau et de ce fait, un enseignant (ou un parent sur le bord du court) intervenant pour montrer "la solution" à un élève tentant de résoudre la situation va casser le processus d'apprentissage et provoquer une baisse importante de l'estime de soi car le message transmis est qu'il n'est pas capable d'y arriver par lui même.

Il est également important de donner du sens à l'apprentissage demandé à l'élève. En effet, comment être motivé à réaliser une tâche si nous ne savons pas à quoi elle sert ?

> Etape 3 :  "Je sais et je sais que je sais" :

L'obstacle a été franchi et cette capacité à avoir abordé l'inconnu provoque une satisfaction importante en motivation d'innovation (SM2). Cette satisfaction est généralement proportionnelle aux efforts consentis. L'élève n'a plus besoin de validation extérieure et se retrouve dans la situation très agréable d'être en référence interne.

Il n'a donc pas besoin d'être félicité ou récompensé car cela le ferait repasser en référence externe.

> Etape 4 :  "Je sais mais je ne sais plus que je sais" :

L'élève est à nouveau dans le connu et le maîtrisé et s'y sent bien, il est donc en motivation de sécurisation (SM1). S'il se retrouve à nouveau confronté à un problème du même type, il ne ressentira pas de frustration car il a intégré qu'il était capable de surmonter cette épreuve et ce type d'apprentissage. Les besoins en motivation de sécurisation ont diminué et les satisfactions de motivation d'innovation sont devenues plus attractives.

L'élève sera également moins tenté par les plaisirs addictifs de la motivation de sécurisation parasitée (SM1p).


 

7/ Conclusion


La motivation de l'apprentissage est un phénomène complexe, à la fois soumis et provoquant des émotions. De ce fait, enseigner c'est avant tout jongler avec ce processus motivationnel et émotionnel afin de permettre aux élèves de réussir les tâches demandées. Pour cela, il convient de veiller à plusieurs facteurs durant les séances :

 - Prendre en compte l'état émotionnel de l'enfant au moment de la séance et adapter le contenu de la séance si besoin.

 - Prendre également en compte la frustration éventuelle de l'enfant devant le problème posé. Chacun ne possède pas la même tolérance à la frustration et il est important pour l'enseignant de ressentir une baisse de motivation qui marque le moment d'intervenir pour aiguiller l'élève.

 - Laisser à l'élève le temps nécessaire pour découvrir la tâche et chercher des solutions. Il faut être conscient également que chaque élève avance à son rythme. "On ne tire pas sur une fleur pour la faire pousser" Proverbe Africain.

 - Privilégier le plaisir d'apprendre et la valorisation de l'effort dans la recherche de solution (référence interne) au résultat en lui même (référence externe).


Dans ce processus, il faut également souligner l'importance de l'entourage proche et ce dès les premières années de la vie de l'enfant. On l'oublie souvent, mais les parents sont les premiers préparateurs mentaux de leurs enfants à travers l'éducation qu'ils vont proposer. Leur comportement face aux résultats scolaires ou sportifs en se focalisant sur le résultat seul peuvent par exemple conditionner l'enfant à utiliser une référence externe avec un besoin d'approbation de son entourage pour toute tâche demandée.

Si ce sujet de la motivation de l'apprentissage vous intéresse plus en détail, je vous conseille bien évidemment l'ouvrage de Daniel Favre : "Cessons de démotiver les élèves, 18 clés pour favoriser l'apprentissage", édition DUNOD, 2010




Bibliographie complémentaire :

 - http://alain.battandier.free.fr/spip.php?article19

 - https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais

 - Guy Brousseau, Théorie des situations didactiques, La Pensée Sauvage, Grenoble, 1998
 -
Perrenoud, Ph. (2004), Qu’est-ce qu’apprendre ?Enfance & Psy, n° 24, 9-17.

 

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