Discours contre les "méthodes"

Samedi 11 Juin 2016
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Derrière cette déformation du titre du célèbre essais de René Descartes : "le discours de la méthode", je vous propose aujourd'hui de faire un point sur la notion de méthode d'enseignement. Rassurantes à la fois pour les enseignants mais également pour les élèves, les "méthodes" font parties de notre quotidien dans de nombreux domaines. La pédagogie ne fait pas exception loin de là tant les débats sur les "bonnes et mauvaises" façon de faire apprendre aux élèves sont virulents depuis plus de 50 ans.

Prioritairement centrés sur l'école ou les méthodes traditionnelles ont été "ringardisées" progressivement par les méthodes actives, ce débat se porte de plus en plus dans le domaine sportif. La multiplication des ouvrages, mais également des sites d'enseignement à distance promettant des progressions rapides et exponentielles peut toutefois nous interpeller et nous questionner : comment une méthode unique peut-elle convenir à des personnes différentes ? Peut-on envisager l'enseignement sportif (et celui du tennis en particulier) comme un éternel recommencement ? La FFT elle même semble pourtant vouloir uniformiser les pratiques pédagogiques à la fois dans ses formations AMT et DE, et bien sûr au sein des clubs via la mise en place de la Galaxie Tennis en proposant un enseignement faisant la part belle à la tactique et reniant la technique car considérée comme un vestige de l'enseignement traditionnel.

Pourtant, en tant qu'enseignant nous nous heurtons tous les jours à une réalité qui semble toute autre : des séances et des situations d'apprentissage qui fonctionnent pour certains élèves et pas pour d'autres, des attentes pouvant être différentes en fonction des joueurs (voir article précédant : Les buts motivationnels du joueur de tennis) bref, rien qui ne puisse présager qu'une méthode unique puisse convenir à tous. Je vous propose d'en discuter dans cet article.

 

1/ La "méthode" : un besoin rassurant

Définition méthode (source Larousse) : Ensemble des règles qui permettent l'apprentissage d'une technique, d'une science.

Ce qui fait la force des "méthodes", c'est cette faculté à rassurer les gens. Les élèves bien sûr qui vont obtenir la quasi assurance de réussir, mais également des enseignants pouvant obtenir un support réutilisable à l'infini, une sorte de recette ou d'ensemble de recette ayant fait ses preuves, bref un équivalent des livres de cuisine mais destinée à la transmission des savoirs. Quel entraîneur de football n'a pas fantasmé sur le fameux petit carnet noir d'Aimé Jacquet censé contenir tous ses secrets ?

Au niveau des entraîneurs de club, qui n'a jamais rêvé de trouver un ou des ouvrages permettant à coup sûr de faire progresser ses élèves ? Combien ont déjà mis en place une programmation décidée à l'avance et couvrant l'enseignement sur tous les groupes d'une école de tennis par exemple, semaine par semaine afin de se mettre en sécurité ? Cette programmation, les responsables des clubs et les parents en sont généralement friands car vont les rassurer sur la "qualité" de l'enseignement.

Pour les élèves, adhérer à une méthode est quelque part avoir une assurance de réussite qui permet de pallier son manque de confiance en soi en la déplaçant sur les qualités réputées exceptionnelles et infaillible de l'enseignant. De plus, pour des personnes ayant un caractère procédurier, avoir un chemin tout tracé va les rassurer et leur permettre de pleinement s'exprimer.


 

2/ Quand les "méthodes" se heurtent à la réalité pédagogique

Définition méthode pédagogique (educnet) : Une méthode pédagogique décrit le moyen pédagogique adopté par l’enseignant pour favoriser l’apprentissage et atteindre son objectif pédagogique. Tout comme les postures décrites ci-dessus, en règle général un établissement ou un enseignant valorise plus à un instant donné une méthode qu’une autre ; bien sûr la méthode unique imposée ou obligatoire serait une erreur, car elle appartient au libre choix de l’enseignant ou de l’étudiant et est souvent affaire de circonstances. Historiquement, il y a eu des effets de mode ou la croyance à certains moments en une méthode-miracle qui permettrait l’apprentissage de tous. Permettant la facilitation de l’apprentissage et la médiation du savoir, il est important de ne pas céder aux illusions pédagogiques...

Cette définition de la notion de méthode pédagogique pose déjà un début de réponse à ce que tout enseignant a déjà vécu : pourquoi une situation d'apprentissage fonctionne t'elle avec certains élèves et se montre inefficace avec d'autre ? Parce que la pédagogie est avant tout une histoire de circonstance et surtout une histoire de relation entre un enseignant, un élève et le savoir.


Figure 1 : triangle pédagogique de Houssaye

Parler de méthode, c'est se centrer exclusivement l'enseignant et de son savoir ce qui place l'élève en tant que spectateur de son apprentissage. Hors, il existe deux autres pôles et non des moindres : celui de la relation entre l'enseignant et son élève (la relation pédagogique) et la relation entre l'élève et le savoir (la relation d'apprentissage) :

 - la relation pédagogique permet à la fois d'établir une relation de confiance avec l'élève, mais également d'identifier le(s) moyen(s) les plus efficaces pour aider ce dernier à apprendre.

 - la relation d'apprentissage quand a elle fait le lien entre l'élève et le savoir : cible en particulier l'assimilation et la construction du savoir, mais également les traitements des troubles de l'apprentissage ainsi que les buts motivationnels.

Avec cet éclairage, nous touchons le noeud de l'enseignement : rendre un savoir accessible et cohérent avec l'élève, son niveau de connaissance et ses apprentissages préférentiels. De ce fait, l'application d'une méthode unique pour tous semble plutôt démagogique.
 

3/ Le cas des entraîneurs de haut niveau

La première question souvent posée à de grand noms de l'entraînement, quelque soit leur discipline, est : Pouvez-vous nous expliquer votre méthode pour réussir ? Généralement il y a deux types de réponses :

 - les entraîneurs qui vont s'approprier une grande partie de la réussite de leur sportif et explique de bonne grâce leur méthodologie et s'assurer de ce fait une médiatisation importante.

 - ceux qui vont plutôt se montrer humbles et donner l'intégralité de la réussite à leur sportif et restent dans l'ombre.

Dans le domaine du tennis, l'exemple le plus marquant est de Sam Sumyk, entraîneur à l'époque d'Azarenka qui venait de remporter son premier tournoi du grand Chelem (et future numéro 1 mondiale) et ancien entraîneur de Zvonareva (qu'il mena à la seconde place mondiale et à deux finales du grand chelem alors qu'elle était connue pour sa grande nervosité et son manque de constance), il expliqua simplement au journaliste qui l'interrogeait que le mérite revenait intégralement à sa joueuse car c'est elle qui est sur le terrain en match et à l'entraînement... Respect !!

Lorsqu'il décida de mettre fin à la relation avec sa joueuse, il expliqua sa décision : "Je déteste le confort. Lorsque je me sens dans une situation de confort, c’est le moment où j’ai l’impression de cesser de m’améliorer comme coach et comme personne." (source Tennis Magazine). Il s'occupe désormais de Grabine Muguruza qui vient de remporter Roland Garros...


@www.ausopen.com

Dans d'autres sports, deux exemples et non des moindres vont dans le même sens. Claude Onesta tout d'abord, entraîneur de l'équipe de France de Handball depuis 2001 en faisant suite à une autre légende de ce sport Daniel Constantini. En 15 ans à la tête de l'équipe, il va forger le plus beau palmarès du sport collectif français avec 2 médailles d'or Olympiques, 3 victoires en championnat du monde et 2 médailles de bronze, 3 titres de champion d'Europe et une troisième place...
La méthode Onesta ? Réponse de Pierre Dantin, directeur de la chaire "Société, Sport et Management" de la faculté du sport de Marseille : "Ne cherchons pas la méthode Onesta, il n'y en a pas ou si elle existait, son propre créateur n'aurait de cesse que de la combattre tous les jours ! Pour lui la méthode tue la vigueur de la relation, là ou les principes partagés se renforcent..." (Claude Onesta, Le règne des affranchis, édition Michel Lafon)


@www.lavoixdunord.fr


Le deuxième entraîneur prestigieux que je me permettrais de citer dans cet article est Fabrice Pellerin, entraineur de l'Olympic Nice Natation comprenant les nageurs Yannick Agnel, Camille Muffat, Clément Lefert et Charlotte Bonnet qui ont apporté à la France 9 médailles Olympiques en 2012 à Londres dont 4 médailles d'or, 4 titres mondiaux et sept titres européens pour une totalité de 36 médailles sur des compétitions internationales... "Ne vous accrochez pas aux techniques du passé, même si c'est vous qui l'avez inventé. Acceptez d'en inventer d'autres, jour après jour, pour éviter la sclérose. Reproduire une méthode éprouvée ne vous mènera pas forcément au succès et certainement pas à l'exploit, car les vérités d'hier seront peut être les erreurs de demain. Depuis en effet, tout peut avoir changé : vous, le contexte, la concurrence, le temps qu'il fait, vos émotions..." (Fabrice Pellerin, Accédez au sommet, le chemin est en vous, Edtion Robert Lafon)


@yahoosport.fr


3 entraîneurs, trois sports différents (un sport collectif, un sport individuel de lutte contre le temps et un sport individuel de duel) et quelque part la même philosophie : pas de méthode miracle mais la priorité donnée à la construction jour après jour des sportifs en repartant d'une feuille vierge après chaque grand rendez-vous sportifs.
 

4/ La question de la programmation annuelle

Ca peut paraitre surprenant de placer un paragraphe sur la programmation dans un article sur les méthodes, mais ces dernières années au sein des formations DEJEPS ou encore des formations Staps, il est demandé aux stagiaires et étudiants de présenter des programmations, le plus souvent annuelles, des séances qu'ils comptent réaliser avec les groupes d'enfants dont ils ont la charge. De la même manière, les responsables des écoles de tennis se voient souvent demander des programmations annuelles générales pour les groupes d'enfants de l'école de tennis, parfois sans prendre en compte les niveaux de pratique ou encore l'âge des enfants...

Michel Pradet dans son livre "La préparation physique" paru en 1997 aux éditions Insep explique quand à lui que :"le meilleur outil pour réaliser une programmation, c'est la gomme" sous entendant que rien n'est jamais figé et que l'important est l'adaptation aux différentes situations qui peuvent se proposer au cours d'une saison. En effet, entre les absences, les blessures, les impondérables familiaux, il est rare de réaliser intégralement les séances prévues durant une saison, de ce fait, réaliser dès le début de la saison ne semble avoir que peu de sens au final.

Ainsi, nous pouvons nous demander si à la manière d'une "méthode", une programmation annuelle ne risque pas de provoquer un absence d'observation des élèves par l'enseignant et donc progressivement un éloignement des objectifs de séances proposées par rapport aux besoins réel des élèves. En effet, prendre en compte la progression réelle des élèves ou encore leur absences à certains cours semble primordial pour décider de passer à l'étape suivante, ce qui n'est pas possible dans le cadre d'une programmation annuelle.

Attention par contre, pour les sportifs de haut niveau la donne est différente, en particulier dans le tennis : placer dans le calendrier les compétitions principales, les compétitions secondaires, les périodes de préparation foncière, les périodes de récupération est un préalable incontournable à la préparation de la saison. Toutefois, nous pouvons également observer parfois des modifications de ce programme prévisionnel en fonction des aléas de la saison : blessures, résultats plus ou moins bons qui peuvent conduire à ajouter ou supprimer des tournois.


 

5/ Conclusion

Si les "méthodes" peuvent nous paraître rassurantes et peuvent être efficaces dans un certain contexte, elles montrent toutefois plusieurs limites importantes : elles ne sont en aucun cas personnalisées et placent le savoir de l'enseignant au dessus de tout reléguant l'élève à un rang de spectateur. De plus, ce genre de pratique peut conduire un élève dans une situation désastreuse pour la confiance en soi : en cas d'échec, il ne pourra remettre en cause la "méthode" qui a déjà fait ses preuves de nombreuses fois et le placera donc devant sa propre incompétence présumée...

On parle souvent de "jouer juste" pour un joueur qui ressent le jeu parfaitement et trouve la bonne réponse au(x) problème(s) posés par l'adversaire. On pourrait reprendre cette image pour l'enseignant avec la notion "d'enseigner juste", c'est à dire la capacité à rester à l'écoute, à observer et à prendre les bonnes décisions en fonction des circonstances quitte à bouleverser totalement la séance prévue. Or, cet état est impossible si nous sommes accrochés à une recette miracle...

De ce fait, nous pouvons également nous poser la question de ce qui est proposé au sein de la FFT dans le cadre de la Galaxie Tennis : une pédagogie par objectif permettant de passer différents paliers mais conduisant quelque part à une norme voulue ne prenant pas en compte la singularité des enfants ni les croyances profondes des enseignants dans les finalités et les moyens à utiliser. N'y a t-il pas un risque à un moment donné de lisser à la fois les joueurs mais également le mode d'enseignement ? Cette pratique ne risque t-elle pas de démotiver à la fois les élèves qui vont  se voir proposé un enseignement unique ne tenant pas forcément compte de leurs compétences, ni de leur buts motivationnels, mais également les enseignants que l'on culpabilise de plus en plus s'ils n'utilisent pas les "pédagogies nouvelles" ou ne souhaitent pas rentrer dans le système Galaxie Tennis ?

Pour garder toute sa richesse, l'enseignement du tennis ne doit pas être dictée par une norme mais au contraire doit valoriser et profiter de la singularité de chaque enseignant dans les moyens mis en oeuvre, dans sa logique du jeu, bref dans ses compétences. Tous les grands entraîneurs qui ont tenté de nouvelles approches ont été traités un jour de fous, raillés puis copiés une fois que les résultats ont commencé à arriver, toutefois sans la même réussite puisque cette réussite était conditionnée à un contexte.

L'important est donc de suivre ses convictions d'enseignant : essayer, corriger, essayer encore et ne jamais s'arrêter de progresser.




 

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Commentaires :

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  • PARIS Christophe dit :
    26/3/2017 à 12h 53min

    Merci pour cet article qui met l’accent sur le projet personnel et non sur les méthodes préétablies. Finalement peu importe la façon, du moment que l’on arrive à ses objectifs.