Le changement technique au service de Djokovic

Jeudi 15 Février 2018


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La nouveauté qui a frappé le monde du tennis en ce début d'année est la nouvelle gestuelle adoptée par Novak Djokovic au service. Si le résultat ne semble pas avoir été suffisant pour soulager complètement le joueur serbe puisqu'il vient de se faire opérer, il est toujours intéressant d'observer des modifications techniques importantes chez les joueurs de haut niveau.

Un changement de cette importance n'est jamais anodin et a du être mûrement réfléchi par le joueur et son staff. L'arrivée d'André Agassi n'est d'ailleurs peut être pas étrangère, lui même ayant modifié son armé durant sa carrière après une sévère blessure au poignet.

Pour comprendre cette modification, je vous propose dans un premier temps je vous propose dans un premier temps de détailler la pathologie dont souffre le joueur Serbe, l'épicondylite plus communément appelée tennis elbow, et ensuite de tenter de trouver une explication à cette douleur en faisant un petit historique de la technique gestuelle de Djokovic.

 

I. L'épicondylite ou tennis elbow


Souvent appelée tennis-elbow, cette maladie régionale du coude n'est pas réservée au seul sportif. Elle est la conséquence d'une hyper-sollicitation du coude, occasionnelle ou chronique, et en particulier des rotateur externe de l'avant bras (encore appelés supinateurs). Ainsi, de part la pratique du tennis, elle apparait le plus souvent lors de frappes liftées réalisées en revers à une main, sollicitant particulièrement ces muscles. 



Toutefois, les nouvelles formes gestuelles en coup droit, et en particulier les coup droits liftés avec prises très fermées et bras fléchi à la frappe, produisent beaucoup de vitesse de tête de raquette et provoquent un accompagnement beaucoup plus traumatique en mettant en tension de manière importante les rotateurs externes de l'avant bras en imposant un travail excentrique (freinage du mouvement par une résistance à l'étirement du muscle).



De plus, l'utilisation de plus en plus importante des rotations internes du bras et de l'épaule au service peuvent encore plus fragiliser cette partie du corps, en particulier sur des services kickés particulièrement utilisés en deuxième balle comme nous pouvons le voir sur la photo suivante :



Chez les joueurs amateurs, on peut aussi ajouter à ces raisons possibles pour des raisons techniques celles du fait du matériel utilisé : raquette trop lourde ou trop rigide, cordage monofilament alors que la capacité de frappe n'est pas suffisante, ou encore cordage trop tendu ou trop vieux.
 

II. L'évolution du service de Djokovic dans le temps

Pour tenter de comprendre l'apparition de la pathologie dont souffre le joueur Serbe, je vous propose d'analyser sa technique gestuelle utilisée sur ce coup jusqu'à la saison dernière :

  

Photo 1 : Sur cette photo, on peut se rendre compte que Djokovic utilise un armé complet avec la raquette passant sous le niveau des genoux. La raquette pointe vers le sol mais on peut se rendre compte que celle-ci prend du retard sur le coude ce qui a pour conséquence de mettre en tension importante les rotateurs externes de l'épaule, du bras et de l'avant bras. Ainsi, le coude se retrouve tiraillé entre la raquette d'un coté et le bras gauche tendu en haut lors du lancer.

Photo 2, 3 et 4 : La raquette débute sa remontée vers la position armée mais on peut s'apercevoir que la raquette reste très longtemps pointée vers le sol ce qui crée une tension supplémentaire au niveau du coude, surtout que les rotateurs sont mis fortement à contribution pour remonter la raquette.

Ce retard de la tête de raquette, peut être un facteur provoquant une épicondylite, surtout chez un joueur professionnel réalisant ce geste plusieurs centaines de fois par jour, à une grande intensité. Toutefois, nous pouvons nous interroger sur l'apparition soudaine de la douleur du joueur serbe puisque ses problèmes de coudes semblent être apparus durant la saison 2017 et pas avant.

Ainsi, en nous intéressant à sa technique gestuelle au service plus en amont dans sa carrière (en 2012), on peut se rendre compte de certaines différences dans son armé à cette époque :

 

Photo 1 : Djokovic utilise un armé complet avec une raquette passant en dessous du niveau des genoux, et la raquette pointe également vers le sol. Seulement, nous pouvons remarquer que le bras droit n'est pas fléchi comme en 2016 mais tendu ce qui modifie complètement les contraintes au niveau articulaire et laisse le coude dans une position plus sécurisante en ne sollicitant quasiment pas les rotateurs externes.

Photo 2 : la remontée de la raquette est effectuée bras tendu vers l'arrière et la tête de raquette se relève progressivement. En comparaison avec sa technique gestuelle de 2016, le joueur Serbe n'utilise à cet instant que les extenseurs du bras pour remonter la raquette et non les rotateurs externes de l'épaule, du bras et de l'avant bras.

Photo 3 : la raquette est remontée pour venir se placer en position armée, l'amplitude arrière du geste a été optimale avant de lancer le coude vers le haut et l'avant pour aller frapper la balle.

Avec son service de 2012, le coude n'est donc pas mise en tenaille entre la raquette et l'épaule et cette gestuelle apparaît donc beaucoup plus sûre au niveau du coude puisque ce dernier n'est sollicité à aucun moment lors de la phase d'armé. L'amplitude et le relâchement semblent également quasiment optimales. De ce fait nous pouvons nous interroger sur la pertinence d'avoir modifié une technique gestuelle qui semblait à la fois efficace et sécurisante au niveau biomécanique.

La réponse tient simplement dans la recherche de la performance. En 2012, le service de Djokovic est correct mais n'est pas une arme pouvant lui apporter des points gratuits en première balle, ou le mettre en sécurité sur sa seconde. Il se devait donc de trouver un moyen afin de le rendre plus performant ce qu'il a réussit à faire en trouvant cette nouvelle gestuelle permettant a mise sous tension des rotateurs externes, créant ainsi un apport supplémentaire de vitesse de tête de raquette. Seulement, toute médaille a son revers et celui de ce nouveau service performant semble avoir été un tennis elbow sur la durée...
 

III. La solution trouvée pour la saison 2018 : un armé semi direct

La douleur ressentie par Djokovic durant la saison 2017 l'a conduit à stopper cette dernière dans le courant du mois de juillet afin de se donner plus de 6 mois de repos de toute compétition. Durant cette période, la décision de modifier la technique du service a été prise avec son staff afin de tenter de soulager le coude. La présence d'André Agassi n'est peut être d'ailleurs pas étrangère à cette décision ce dernier ayant lui même dû modifier son armé après une opération au poignet en 1997.

Analysons plus en détail cette modification :



Photo 1 et 2 : nous pouvons observer que Djokovic réalise désormais un armé semi direct, c'est à dire que la raquette passe de l'avant vers l'arrière entre le niveau de la hanche et celui de l'épaule. La raquette en restant au niveau de la main ne provoque pas de tension au niveau musculature. L'ouverture s'effectue par une rotation externe de l'épaule.

Photo 3 et 4 : La raquette monte progressivement en position armée pour venir se placer à la verticale du coude. La position coude à 90° protège l'articulation en limitant les étirements des rotateurs externes du bras et de l'avant bras.

Au niveau biomécanique, la modification gestuelle semble justifiée puisque le coude semble beaucoup moins sollicité qu'auparavant par une fixation des rotateurs externes du bras et de l'avant bras. Seulement, choisir un armé semi direct au service, c'est provoquer une sollicitation plus importante de l'épaule du fait de l'amplitude gestuelle limitée et de l'utilisation quasi exclusive des muscles rotateurs externes de l'épaule dans la phase d'armé et s'exposer aux risques blessure en découlant. Patrick Rafter utilisait ce style de service et a du stopper prématurément sa carrière malgré une opération de l'épaule en 1999.

Ainsi, il convient de faire attention lorsque l'on réalise une modification technique afin de soulager une pathologie de ne pas déplacer cette pathologie vers une autre articulation.
 

IV. D'autres causes possible à l'épicondylite dans le jeu de Djokovic ?

Si le service de Djokovic version 2016-2017 semble suffisamment traumatique pour développer une pathologie au niveau du coude, nous pouvons nous interroger sur le reste de son jeu puisque la douleur est toujours suffisament présente pour que Djokovic décide finalement de se faire opérer.

Nous l'avons vu précédemment, le coup droit moderne joué avec une prise très fermée, bras fléchi avec beaucoup de rotation et privilégiant une vitesse de tête de raquette obtenue par l'énergie cinétique de rotation au détriment de la translation. Le coup droit de Novak Djokovic présente toutes ces caractéristiques et peut également être pointé du doigt dans la blessure subie par le joueur actuellement.



Photo 1 et 2 : La prise utilisée par le joueur serbe est située entre une prise fermée et une prise extrême de coup droit

Photo 3 : la frappe est réalisée bras semi fléchi ce qui est obligatoire lorsque l'on utilise une prise aussi fermée afin de ne pas créer de tension au niveau du poignet.

Photo 4 : Après la frappe, on peut voir l'action importante des rotateurs internes provoquant la remontée de la tête de raquette. L'amplitude d'accompagnement vers l'avant est de ce fait assez faible ce qui est caractéristique d'un coup droit "essuie glace".

Photo 5 et 6 : lors de l'accompagnement, nous pouvons observer la tension importante exercée sur les rotateurs externes de l'avant bras du fait de la tête de raquette en terminant sous le niveau du coude

Comme nous venons de la voir, la technique gestuelle du coups droit de Novak Djokovic basée sur la proction de vitesse de tête de raquette grâce aux rotateur internes est également assez traumatique pour le coude et peut également être mise en cause dans la blessure du joueur serbe.
 

V. Conclusion

Sur le plan biomécanique et à la vue de l'analyse de la technique gestuelle utilisé par Novak Djokovic en 2016 et 2017, modifier l'armé pour passer vers un armé semi direct semble être une bonne décision pour limiter la sollicitation des supinateurs de l'avant bras et donc soulager le tendon. Toutefois, nous pouvons nous poser la question de la pertinence de ce choix sur le long terme et ce pour deux raisons :

 - la première est que cette sorte d'armé sollicite de manière plus intensive l'épaule peut sur le long terme déplacer le problème vers cette articulation

 - la seconde est que le service n'est pas forcément le seul point pouvant expliquer cette pathologie dans le jeu du serbe. Le coup droit en effet est de par sa nature assez traumatique comme nous avons pu le voir l'article.

Une solution intermédiaire au service aurait pu être le retour vers la technique gestuelle utilisée en 2012 qui, par sa montée du bras droit bras tendu semble beaucoup moins solliciter les supinateurs de l'avant bras. Toutefois, autant un joueur loisir peut se satisfaire d'une modification technique lui permettant de supprimer une douleur, autant chez un joueur professionnel, il y a le facteur de la performance qui rentre en ligne de compte, en particulier sur le service qui constitue une arme essentielle à haut niveau. Et c'est dans cet équilibre très fin que la suite de la carrière de Novak Djokovic risque de reposer dans les prochains mois : sera t-il capable de mettre en place un service plus "safe" au niveau articulaire tout en gardant un niveau de performance acceptable.
 

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